Merci à Jean-David Chamborédon d’être intervenu dans le débat il y a 10 ans pour défendre ceux qui prennent leurs risques en créant et en investissant dans les startups.
Le coup de gueule de Jean-David fut entendu en plus haut lieu, et le projet de loi de Finance 2013 alors en gestation fut rectifié. On évita de peu une fiscalité punitive sur les plus-values générées par les startups. Une ère féconde pour l’innovation allait commencer en France.
(Pour les curieux, voici l’article: https://urlz.fr/k9I5)
Depuis lors, malgré des progrès règlementaires indéniables dans le secteur des startups ces dernières années, certains sujets demeurent problématiques.
Alors qu’une grande part de la valeur créée par l’écosystème provient des fondateurs de startups, ceux-ci sont souvent lésés lors des multiples tours de financement qui adviennent.
Ils sont devenus les nouveaux pigeons du système.
Ainsi quel que soit le tour de financement des startups (Seed, Série A, Série B…), il est de coutume de donner plus de droit au dernier entrant. Autrement dit, les derniers arrivés dans la table de capitalisation auront des actions qui comporteront plus de droits que les autres.
C’est tout à fait injuste mais comme on a toujours fait ça…
Lors de la création d’une entreprise, les fondateurs répartissent le capital en distribuant des actions ordinaires en fonction des responsabilités de chacun. Avant qu’un VC ne participe, les augmentations de capital successives se feront avec la création d’actions ordinaires ou ‘common shares’, partagées entre BA, amis, famille…Jusque-là, rien d’anormal.
Puis, lorsqu’un VC entre dans la table de capitalisation, une nouvelle classe d’action va être créée. Et chaque nouvelle augmentation de capital entrainera la création d’une nouvelle classe d’actions.
Ainsi, on a d’abord les ‘actions ordinaires’ puis les actions de classe A, puis les actions de classe B, puis les actions de classe C…et cela peut aller loin dans l’alphabet.
Résumons avec un exemple simple: un fondateur crée une startup et va lever du ‘love money’. Tous les participants possèdent les mêmes actions: les actions ordinaires.
Fort de son succès, la startup fait une levée de Seed, 1 an plus tard. Comme c’est une augmentation de capital fédérée autour de Business Angels, les nouvelles actions créées sont aussi des actions ordinaires. Jusqu’ici dans l’histoire de l’entreprise, toutes les actions accordent à leur possesseur les mêmes droits: tout est équitable.
Lors du tour de Série A, 2 ans plus tard, c’est un VC qui est leader de l’opération d’augmentation de capital. Le capital sera injecté sur la base d’une valorisation importante. Les actionnaires sont heureux, la plus-value latente est notoire.
Le problème, c’est que lorsqu’un VC investit, il réclame toujours des clauses particulières pour ‘dérisquer’ son investissement à l’instar des liquidations préférentielles (mais il y a également les clauses de sortie forcée, de garantie actif-passif, de ‘bad leaver’ etc…) qui contribuent à augmenter artificiellement les valorisations et les disparités entre actionnaires en cas d’usage abusif.
La startup va donc émettre des actions de classe A, qui en plus des droits des actions ordinaires auront des droits supplémentaires. En particulier, en cas de liquidation de la société, les actions de classe A auront une ‘primauté’ sur les actions ordinaires: les actions de classe A seront remboursées en priorité sur les actions dites ordinaires.
Vous avez bien compris, le dernier investisseur impliqué dans la startup, celui qui n’a pas encore pris le moindre risque dans l’aventure est celui-là même qui a les termes les plus avantageux. Voilà le scandale!
Comme la startup a une belle croissance, 2 ans plus tard elle va effectuer une série B en levant du capital sur une belle valorisation. Ce nouveau tour de financement va faire rentrer de nouveaux acteurs…..et rebelote!
En plus de la dilution subit par les actionnaires historiques, la startup va devoir émettre des actions de classe B qui auront à nouveau plus de droits que les actions de classe A et donc que les actions ordinaires.
Ainsi, nous avons un système établi qui avantage les entités prenant le moins de risque aux dépens des investisseurs historiques et en particulier des fondateurs.
Or il n’y a aucune justification à cet état de fait.
Le législateur devrait se pencher sur le sujet, et pourrait interdire ou taxer fortement l’utilisation des différentes classes d’actions. Cela simplifierait un écosystème qui a tant besoin de lisibilité et de transparence.
A l’heure actuelle, rien n’est plus compliqué que de calculer la valeur de sa participation lorsqu’une startup a 5, 10 voire 15 classes d’actions différentes. On appelle cela des ‘waterfalls’.
In fine, à cause de ces ‘waterfalls’, il est quasiment impossible d’effectuer un ‘mark-to-market’, c’est-à-dire une évaluation financière instantanée de ses actifs à cause de la complexité générée par ces différentes classes.
Les VC et les family office devraient mener cette charge pour changer l’existant car ils en sont les principaux acteurs. Le problème, c’est qu’ils sont aussi les principaux bénéficiaires.
Ainsi, la structure capitalistique des startups est paradoxalement plus complexe que celle des grands groupes côtés en Bourse. Ceux-ci ont rarement plus de 2 classes d’actions.
L’investissement en Private Equity est un exercice difficile car peu de pépites se distinguent et permettent de rentabiliser les investissements dans la durée. Dans un fonds VC, moins de 10% des investissements ont une contribution significative au rendement global.
Du point de vue de 90% des équipes de cofondateurs moins chanceux, la différence entre un monde hypothétique à une seule classe d’action et le monde actuel constitue une différence importante.
En effet, c’est lorsqu’une startup rencontre des problèmes que les droits additionnels des dernières classes d’actions engendrent les plus grandes disparités financières; celles-ci se chiffrant en centaines de milliers, voire en millions d’euros.
Cet argent ira augmenter de façon très marginale le rendement des fonds au détriment des fondateurs et des investisseurs de la première heure.
Il serait bon que ces sommes finissent partagées équitablement entre tous les actionnaires en suivant une table de capitalisation transparente avec une seule classe d’actions, plutôt qu’en suivant des ‘waterfalls’ qui avantagent les derniers entrants et pénalisent ceux qui ne peuvent pas investir dans les tours successifs.
Ne serait-ce que pour leur réputation, ces derniers entrants pourraient faire preuve de plus de magnanimité avec ces investissements ratés…
Mais tant que le législateur ne mettra pas son nez dans ce système inique, j’ai bien peur que rien ne change dans le monde merveilleux des startups.
Alors à bon entendeur…